Maïs transgénique,clonage, stérilisations

A qui profite la nature ?

 

Compte-rendu de la conférence prononcée par Jean-Pierre Berlan, le vendredi 22 janvier 1999, au Centre Social de Cosne

 

 

Les firmes agro-alimentaires essaient à présent de s’approprier la nature en instaurant un véritable marché des espèces vivantes. Il s’agit pour elles d’interdire par tous les moyens l’utilisation des espèces traditionnelles, qui ont la faculté de se reproduire, et d’imposer partout des espèces hybrides ou modifiées, stériles, afin de contraindre l’agriculteur à racheter des semences à chaque fois qu’il veut reproduire une récolte.

La présente conférence a été prononcée par M. Berlan, ingénieur agronome et directeur de recherches à l’I.N.R.A., afin d’ouvrir le débat sur les moyens d’une action contre cette offensive de l’agro-alimentaire. De nombreux représentants de la Confédération Paysanne étaient présents dans la salle, directement concernés par le problème de la confiscation des ressources naturelles. A noter que le conférencier est membre du comité français contre l’A.M.I., accord international qui visait à faire indemniser par les Etats toute multinationale contrariée, sur le terrain local, dans ses plans de " développement ".

La conférence a, du reste, débuté par un appel à la vigilance et à la mobilisation. " Pour rendre un problème "complexe", a commencé M. Berlan, il suffit de le remettre à un "expert". L’exemple de l’A.M.I. est très significatif : ce traité a été négocié pendant trois ans par des fonctionnaires internationaux, presque à l’insu de tout le monde. Mais la mobilisation s’est finalement décidée, et elle a permis de changer les choses. L’exaspération des gens face au discours de soumission des élites rend le changement possible. En ce qui concerne le vivant, il y a encore un succès à remporter dans les mois qui viennent. " Le conférencier a tenu alors à faire un exposé préliminaire de l’idéologie qui sous-tend cette entreprise de domination.

 

 

I° Idéologie généticienne et eugénisme de marché.

 

L’idéologie qui domine en biologie est celle du " tout-génétique ". On trouve régulièrement, jusque dans les journaux les plus sérieux, des titres du genre : " la tuberculose est génétique " (trouvé dans Le Monde). Cette idéologie est d’autant plus pernicieuse qu’elle est absurde, mais sur une base exacte. Elle postule un déterminisme : on a des gènes qui prédisposent à telle ou telle maladie, dit-elle... Ce n’est pas entièrement faux, mais le patrimoine génétique ne peut pas absolument pas se penser tout seul : il existe une foule de facteur environnementaux, sociaux, acquis, qui interviennent directement dans la formation de telle ou telle pathologie.

Le problème est, de toute manière, plus grave encore. Au bout du compte, c’est la totalité de la vie qui apparaît comme... génétique. Même nos idées (exemple : le fait même d’être un chercheur hostile au maïs transgénique !) serait également génétiques. Un tel déterminisme fait le jeu de partis extrémistes, comme le Front National, qui postulent subrepticement un caractère inné (ou racial, ce qui revient au même) de phénomènes tels que le crime, l’infériorité intellectuelle, l’inadaptation sociale, etc., au mépris même de tout ce que l’acquis, l’éducation, la société peut apporter (ou enlever) à un homme, quel qu’il soit.

Parfois l’idéologie généticienne tombe dans le ridicule. Des journaux ont titré qu’aux Etats-Unis, le gène de l’obésité avait été découvert ! Cela voudrait-il dire que la population américaine ait muté si considérablement en deux générations ? Bien évidemment, le problème de l’alimentation aux Etats-Unis est passé sous silence..., ce qui disculpe d’ailleurs ceux qui la commercialisent.

La proximité de cet idéologie biologiste déterministe avec le nazisme est bien connue. Goebbels disait volontiers : " Le nazisme, c’est la biologie en action. " En clair, il suffisait de supprimer les êtres " naturellement " inférieurs, et de conserver les autres, pour le plus grand bonheur de l’humanité future. Or, à l’heure actuelle, si le totalitarisme n’a plus court sous sa forme initiale, il réapparaît sous celle d’un eugénisme de marché. Ce nouveau déterminisme, très proche de l’ancien, s’en différencie simplement par deux choses : il est diffusé par les grandes firmes multinationales, et non plus par un Etat totalitaire, et, surtout, il est cautionné par l’essor sans précédent de la biologie génétique contemporaine. Le but est le même : nier notre liberté, comme notre responsabilité. Ce qui arrive doit arriver, car c’est dans nos gènes, on n’y peut rien... Tout ce qui choque dans la société devient génétique, c’est-à-dire naturel : le crime, les inégalités, les maladies, le chômage lui-même... Ainsi, les pouvoirs sont disculpés de tous les travers sociaux devant lesquels ils démissionnent.

M. Berlan a présenté une série de journaux, et évoqué des titres fallacieux. On lit partout : le gène du sport, de l’alcoolisme, de la schizophrénie, de l’homosexualité, des maladies mentales... En ce qui concerne le chômage, on n’a pas été loin non plus de considérer les chômeurs comme des êtres naturellement moins adaptés et moins intelligents. Le problème de l’alcoolisme et des maladies mentales est, du reste, particulièrement significatif ; l’organisation sociale et les difficultés de la vie ne seraient aucunement responsables, seuls les gènes produiraient des fous ou des alcooliques ! Le but poursuivi est toujours le même : il s’agit de naturaliser des artifices, de faire apparaître comme naturels des phénomènes crées par le fonctionnement social.

Cette idéologie, il faut le dire, obéit à des fins économiques précises, en même temps qu’elle cautionne inégalités et domination. Elle a été imposée par des firmes telles que Rhône-Poulenc. Du moment que tout est génétique, toute personne est un malade potentiel. C’est l’avènement de la médecine prédictive, qui va consister à rechercher des gènes défectueux pour chaque citoyen, afin d’imposer de lourds traitements préventifs, pour la plus grande joie de l’industrie pharmaceutique, surmédication qui, jointe à la crainte de tomber malade, finira par rendre malade, etc. Cercle vicieux et gros bénéfices ! La question d’obtenir de meilleures conditions de vie n’est jamais posée, alors que la santé passe avant tout par là.

Il faut noter que le Musée des Sciences et des Techniques de Londres décerne actuellement des prix aux " recherches " de certains biologistes réductionnistes. Tradition oblige : les études de Sir Cyril Birt - dont les séries statistiques sont complètement truquées - cherchaient, au début du siècle, à démontrer que le prolétariat des bas-fonds devait sa dure condition à une sorte de... bêtise originelle. Le but était de justifier une suppression de toutes les dépenses publiques d’éducation dans ce type de quartier, dépenses considérées comme du gaspillage. Les fraudes statistiques de Sir Cyril Birt sont encore actuellement passées sous silence dans de nombreuses instances scientifiques ; cela en dit long sur l’idéologie qui traverse la biologie contemporaine.

 

 

II° Une O.P.A. sur le vivant.

 

On ne peut pas vendre à quelqu’un ce qu’il produit ou ce dont il dispose à satiété. Ce principe de moralité économique risque d’être bafoué du jour au lendemain. Auparavant, le paysan mettait en réserve une partie de sa récolte, afin de semer à nouveau. Maintenant, on cherche à lui vendre des semences ! Pour cela, les grandes firmes chimiques désirent l’anéantissement des deux propriétés fondamentales du vivant : celle de se reproduire, et celle de se multiplier.

Qu’est-ce qu’une semence ? Une sorte de disquette informatique, avec un aspect matériel (le grain en lui-même) et un aspect logiciel (l’information génétique contenue dans le grain, le programme de développement de la plante). Ce second aspect est de loin le plus important. Comme en informatique, ce n’est pas la disquette en elle-même qui compte, mais les données qui sont enregistrées sur elle ; d’ailleurs une disquette vierge ne coûte presque rien, à la différence d’une disquette contenant, par exemple, un logiciel Microsoft. Or, les grandes multinationales ont l’ambition de devenir les Microsoft du vivant, c’est-à-dire obtenir le monopole des " logiciels " biologiques.

Auparavant, le paysan reproduisait les logiciels génétiques dans son champ, de saison en saison, en réservant à chaque fois une partie de sa récolte pour la semer de nouveau. Or, les firmes transnationales de l’agronomie transgénique veulent, en quelque sorte, revendre le logiciel à chaque fois, un peu comme la Microsoft détrône pratiquement chaque année sa version de Windows pour en proposer une autre, supposée meilleure, aux consommateurs. Il faut donc des espèces stériles.

1) Un méthode peu utilisée consisterait à instaurer une " stérilité légale " : interdire purement et simplement au paysans de ressemer une partie de leurs récoltes, faire payer les récalcitrants, etc. Mais, c’est créer un privilège évident en faveur des grandes firmes, trop difficile à négocier dans un pays démocratique. Il faut donc une méthode plus subtile et plus sûre.

2) La " stérilité biologique " advient alors. On crée des hybrides, qu'il vaut mieux ne pas utiliser comme semence car la récolte serait alors de rendement très inférieur à la normale. Ensuite, on fait croire aux paysans que la nature impose le choix de ces hybrides : ils seraient plus résistants, plus rentables, etc. Et l’agriculteur est placé sous la dépendance directe de la firme qui lui vend les hybrides et les produits permettant leur croissance (engrais, pesticides, additifs de toutes sortes). " C’est la nature qui veut cela. " Tel est l’éternel discours tenu aux agriculteurs. Là encore, il s’agit de faire passer pour naturelle une volonté de domination sociale. Une propagande diffuse, à laquelle ont collaboré bien des " scientifiques ", a permis ainsi de biologiser, de naturaliser la volonté purement mercantile de créer des hybrides. Le récent brevet Terminator (le nom est significatif !) est la consécration même de cette volonté de castrer la nature : il s’agit d’une technique de transgénèse qui consiste à rendre le grain complètement stérile ; la plante pousse normalement, mais ne se reproduit pas. Quand on songe que la propagande appelle " biologistes " des gens qui s’attaquent ainsi au propriétés les plus fondamentales de la vie, on a plutôt envie de penser aux médecins nazis des camps de la mort...

Bien sûr, il y a les paysans récalcitrants, ceux qui continuent à vouloir semer des espèces reproductibles. Les firmes imposent alors une foule de dispositions, à mi-chemin entre la stérilité légale et la stérilité biologique, afin que nul ne puisse échapper à la loi de l’hybridation. Par exemple :

- la stérilité économique : on vend des hybrides spéciaux, à stérilité progressive, dont les rendements s’effondrent à chaque nouvelle récolte, manière comme un autre de forcer l’agriculteur à racheter tôt ou tard ses semences ;

- la stérilité contractuelle : des firmes de " sciences de la vie " (!), telles que Monsanto, passent des contrats avec les agriculteurs qui achètent des semences de soja transgéniques (celles-ci ont été modifiées pour être résistantes à un herbicide) ; elles sont reproductibles, mais l’agriculteur s’engage à ne pas les ressemer ; les amendes encourues en cas de manquement son exorbitantes, les contrôles fréquents ;

- la stérilité juridique : si l’agriculteur emprunte du grain modifié aux voisins, il risque les mêmes ennuis ; les espèces modifiées sont la propriété exclusive des firmes qui les ont créées, et elles sont protégées par des brevets ;

- la stérilité réglementaire : l’agriculteur s’engage à n’utiliser que des semences commerciales... en l’échange de subventions publiques, bel exemple de la faiblesse des pouvoirs publics face aux volontés des grandes firmes ;

- la stérilité par refus de vente : la firme refuse de vendre des herbicides ou autres produits, si l’agriculteur n’achète pas ses semences ; il ne faut pas oublier que des firmes comme Monsanto ou Novartis sont avant tout des firmes chimiques déguisées en entreprises écologiques.

 

Que peut-on redouter pour demain ? Tout simplement la quasi-disparition des espèces traditionnelles, au profit des variétés génétiquement modifiées (V.G.M.), dont les multinationales détiendront les brevets. Un jour viendra peut-être où le monde végétal, et même l’ensemble du vivant, sera confisqué par quelques firmes, décidant de sa reproductibilité et de sa multiplication. En tout cas, la guerre déclarée aux espèces reproductibles et aux agriculteurs qui ressèment une partie de leur récolte tend de plus en plus à faire du paysan un pirate et du citoyen un receleur. C’est le but quasi-avoué des grandes firmes transnationales.

Monsanto publie d’ailleurs régulièrement des placards qui menacent les paysans de poursuites juridiques. Aux Etats-Unis, cette firme stipendie d’ailleurs une armée de détectives privés, de triste réputation, chargés de repérer les " pirates " qui sèment sans acheter. C’est la prolétarisation du monde agricole qui s’annonce, son entière soumission aux grands intérêts industriels. Même en Europe, on est frappé par l’aveuglement de la quasi-totalité du syndicalisme agricole, à quelques exceptions prêt. Pourtant, l’urgence est là.

 

 

III° Un " recherche " inutile et dangereuse.

 

Les conséquences sur les libertés publiques sont désastreuses. En France, des détectives sont déjà en train de fouiner dans les vergers du midi pour repérer d’éventuels greffages ; bientôt, on y verra la répression des fraudes, ou les gendarmes. Récemment, le ministre Claude Allègre invitait les chercheur à faire du " business " ! Tout cela ira-t-il jusqu’à l’interdiction de l’agriculture ?

D’un point de vue économique et écologique, cette mainmise sur le vivant est une escroquerie. Les firmes transnationales de l’industrie chimique ont clamé qu’elles résoudraient le problème de la faim dans le monde tout en respectant l’environnement. Cette propagande est destinée à racheter l’image calamiteuse qui a suivi certaines catastrophes (Seveso, Bhopal...). Derrière la défense de l’environnement et la philanthropie se cache en réalité la volonté d’empêcher toute règlementation concernant leurs activités. Le hold-up se dissimule derrière l’image de marque. On ne peut s’empêcher de songer à ces publicités de Rhône-Poulenc, filmant des enfants supposés véhiculer un message d’espoir pour le siècle à venir.

Un simple analyse du problème de la faim dans le monde devrait cependant déjouer les apparences. 1) Dans les pays développés, Etats-Unis en tête, près de 50 % de la population souffre du mal-manger : sous-nutrition, malnutrition, obésité ; or, ces pays sont en surproduction chronique. En France, on ne sait plus quoi faire du porc, de la volaille, des oeufs, des fruits, du fleuve laitier inendiguable... Cette surproduction de produits de mauvaise qualité est créatrice de maladies, ne serait-ce qu’en raison de leur surcharge chimique, et en aucun cas la surproduction ne résout le problème du partage des richesses, c’est-à-dire de ceux qui, exclus, n’ont même plus, socialement, le droit de manger. L’arrivée des O.G.M. ne change ainsi strictement rien à ces problèmes, et, en outre, des risques très importants sur la santé humaine et sur le milieu ambiant sont possibles. 2) Dans les pays du Tiers-Monde, on ne voit pas quel intérêt auraient des populations, déjà très pauvres, à cultiver des semences qui ne germeraient qu’une fois, sauf à vouloir s’appauvrir encore !

En outre, parallèlement au mythe philanthropique et écologiste, s’installe en outre celui de la " recherche privée ", source de " progrès " et de " dynamisme ". Or, la recherche privée, par définition, est un frein absolu au progrès ; elle ne produit que des esprits stériles, puisque ceux-ci, loin d’être indépendants, sont systématiquement aux ordres de leurs bâilleurs de fonds. Or, à l’heure actuelle, les réductions budgétaires vont permettre à la recherche privée d’avaler la recherche publique. Nombreux sont les directeurs de laboratoires, y compris à l’I.N.R.A., qui arrondissent leurs fins de mois avec des subventions émanant du monde industriel. Cette situation est gravissime, et elle convertit le scientifique en expert, c’est-à-dire en idéologue aux ordres de ses financeurs.

 

 

IV° La cartellisation des ressources génétiques.

 

Les progrès fulgurants que le 20° siècle a connu en matière de rendements sont dus en grande partie à une mondialisation des semences. En 1946, on a rapporté aux Etats-Unis des variétés de blé japonais naines, ne se gaspillant pas en paille inutile. On a croisé ces variétés avec des variétés américaines. Puis avec des variétés mexicaines. Et il faut savoir que le blé japonais avait lui-même une lointaine origine américaine (bis repetita) d’origine russe !

Les derniers croisements ont permis ainsi, au Mexique, le début de la révolution verte. L’hybridation et l’adjonction de produits chimiques ont fait exploser les rendements. Les ressources et les connaissance génétiques ont connu leur mondialisation. On ne peut d’ailleurs pas revenir sur ce fait, qui n’a pas eu que de mauvaises conséquences.

Mais, à l’heure actuelle, il n’y a pas mondialisation des ressources génétiques. On assiste, bien au contraire, à une véritable cartellisation de celles-ci, comme d’ailleurs de beaucoup d’autres choses. La mondialisation est un mythe qui cache la cartellisation, c’est-à-dire la confiscation intégrale des richesses et des ressources disponibles au profit de quelques firmes transnationales au pouvoir absolu. Le monde est divisé en grands secteurs économiques, quatre groupes dominent l’automobile, deux l’aviation, etc. C’est une sorte de partage du monde, dont les conséquences sont d’ores et déjà redoutables à tous les niveaux : écologique, mais aussi économique, social, politique, etc.

 

 

V° Le cercle vicieux de la surenchère technologique.

 

La transgénèse et l’hybridation font partie de ces choix qui, comme celui du nucléaire ou de l’automobile de masse, ont littéralement brisé toute recherche alternative. Au lieu d’explorer les voies qui auraient permis de résoudre les problèmes d’énergies, on s’est exclusivement concentré sur le nucléaire. Au lieu de conserver des infrastructure ferroviaires et fluviales, de promouvoir les transports en commun et d’envisager différemment le problème du transport des marchandises, on a tout misé sur l’automobile individuelle et le trafic routier. Les compagnies automobiles, aux Etats-Unis, ont d’ailleurs racheté des infrastructures ferroviaires afin de purement et simplement les détruire. La sphère technoscientifique, quant à elle, s’émancipe finalement, dans un tel contexte, de tout contrôle. Elle s’entretient d’elle-même, en proposant des solutions aux problèmes qu’elle a créés. C’est un cercle vicieux : chaque apaisement provisoire annonce une nouvelle catastrophe.

La médecine, bien entendu, n’échappe pas à la règle. Comme on ne peut pas vendre de médicaments à des gens en bonne santé, il faut convertir chaque individu en malade potentiel. On se lance alors dans le décryptage de la carte génétique humaine pour débusquer les gènes à risques chez chacun de nous (médecine prédictive). Dès la naissance, les enfants prendront alors des médicaments préventifs, inefficaces, et qui rendront les gens malades, ne serait-ce que par somatisation : l’angoisse permanente provoque fréquemment la maladie redoutée, et la surenchère médicamenteuse abîme énormément l’organisme. De fait, cette vision aberrante de la médecine isole la causalité génétique comme une causalité unique, alors qu’une maladie est provoquée avant tout par une foule de facteurs sociaux et environnementaux, facteurs qui, eux, ne sont jamais évoqués.

La technique se nourrit ainsi elle-même dans un cercle vicieux sans fin : on apporte des solutions techniques à des problèmes techniques, alors que les vrais problèmes sont toujours de nature politique. La surenchère technologique ne fait qu’exprimer des rapports de forces inégalitaires, où domine la simple volonté de faire fructifier, non le vivant, mais les capitaux investis.

 

 

 

DÉBAT

 

Un jardinier, qui envoie fréquemment des graines non hybrides dans des pays pauvres, est intervenu pour demander s’il était dans la légalité, alors même qu’il les envoie bénévolement. Le risque juridique existe, même si le caractère non lucratif de cette activité la protège quelque peu.

Un intervenant est revenu sur la question de l’emploi. Le conférencier a montré que l’agriculture subventionnée " classique " détruit des milliers d’emplois par an, ce qui n’est pas le cas de l’agriculture biologique ; cette dernière reste créatrice d’emplois.

Un agriculteur biologique a mis en évidence les risques juridiques qu’il courait... à faire son métier ! Il cultive des plantes qui ne sont plus répertoriées dans le catalogue officiel européen. Seule la taille modeste de son exploitation le préserve des risques majeurs. Mais il est à redouter que les grandes firmes fassent de plus en plus pression pour interdire toute utilisation des variétés traditionnelle. Il faut savoir que ce catalogue européen élimine chaque année des variétés anciennes pour les remplacer par des variétés hybrides et/ou transgéniques. Il y a une volonté manifeste de faire de l’agriculteur un hors-la-loi.

Une question a porté sur la génétique en elle-même. L’intervenant en est venu à la conclusion que celle-ci considère l’homme, en définitive, comme une machine. La vie se réduirait au gène, comme la montre se réduit à ses rouages. Or, ce néo-cartésiannisme est fallacieux : selon M. Berlan, l’aspect génétique n’est qu’une base sur lequel le vivant peut s’exprimer, et non le vivant lui-même. Le vivant ne se réduit pas à un logiciel génétique. Le défaut de la science contemporaine est de travailler sur cette objet unique, en méconnaissant totalement la complexité de la vie.

On a évoqué également le problème de l’attitude, extrêmement complaisante, de la France vis-à-vis de la transgénèse. Les gouvernements successifs n’ont rien trouvé à redire, lorsque les grandes firmes transnationales ont commencé à déposer des brevets sur le vivant. Il faut savoir, en outre, que la France a autorisé jusqu’à 50 % des essais projetés en Europe, ce qui est énorme. Nombreux sont les pays européens qui ne partagent absolument pas cette attitude.

Il faut préciser que la plupart des laboratoires publics en sont réduits à finir leur fins de mois avec de l’argent privé, ce qui les soumet à la logique industrielle. Les politiques, quant à eux, sont accaparés par les tâches locales : serrer des mains, trouver un bureau de tabac pour l’électeur fidèle, etc. Pendant ce temps, les grandes firmes privées préparent les dossiers, les transmettent aux fonctionnaires qui les entérinent, et les politiques n’ont plus qu’à apposer leurs signatures sur ces projets qui les dépassent.

Une question a porté alors sur le statut de l’I.N.R.A. lui-même. M. Berlan y fait figure de chercheur dissident. Cet organisme, comme les autres, dépend énormément de l’argent privé, et les récentes décisions de Claude Allègre n’ont fait qu’empirer les choses. Le directeur général de l’I.N.R.A. a siégé de nombreuses années au conseil d’administration de Rhône-Poulenc. D’une manière générale, ces organismes sont aux mains d’énarques ou de polytechniciens, qui n’ont aucune compétence précise en matière scientifique. Le salut ne peut donc pas venir du sommet. La seule chose à faire est d’alerter le monde agricole sur cette aberration : on veut interdire aux agriculteurs de ressemer.

Une question a porté sur la nature de ce fameux catalogue européen des semences. Ce catalogue est élaboré par différentes instances, dont l’I.N.R.A. lui-même, et les semenciers. Il n’est pas à proprement parler interdit de semer un type de semence qui n’est plus répertorié, mais il est interdit d’en faire commerce, et de vendre les produits qu’elles engendrent, ce qui rend toute l’agriculture biologique à peu près hors-la-loi. Pourtant, ce catalogue avait été créé pour de bon motifs : il s’agissait, au début du 20° siècle, de protéger les agriculteurs contre des semenciers douteux qui vendaient un peu tout et n’importe quoi. Cela étant, ce catalogue est noyauté à présent par le monde des semences hybrides et modifiées. Il serait intéressant alors de discuter publiquement son éventuelle suppression. Mais, cela ne résout pas tous les problèmes. L’idée de faire tester la fiabilité des variétés par l’administration reste légitime : il existe bien une Agence du Médicament pour tester les nouveaux traitements. On remarque que les firmes chimiques essaient par tous les moyens de contourner les tests. Aux Etats-Unis, il n’y a pas de catalogue, et elles font ce qu’elles veulent.

Des questions ont porté de nouveau sur les aberrations régnant en matière de " recherche " génétique. Aux Etats-Unis, on fait des recherches génétiques pour soigner des maladies qui sont dues en réalité à une alimentation aberrante (obésité, etc.). Les greffes d’organes de porcs transgéniques, tant vantés pour remplacer des organes humains, transmettent à l’homme... des maladies que seul le porc connaissait auparavant ! Et ainsi de suite. M. Berlan a rappelé alors un principe à ne pas oublier : " la science, c’est l’ignorance ". A l’heure actuelle, il n’y a pas de science à proprement parler, prudente, consciente de ses limites, mais une dictature des experts. L’expertise consiste à remplacer la réflexion politique. On finance des experts pour livrer des certitudes toutes faites : " il n’y a aucun danger, etc. " L’expert livre clef en main le discours que lui dictent les grands intérêts qui le financent. Le discours d’expertise n’est pas un discours scientifique.

On a évoqué aussi le rôle du syndicalisme agricole à l’heure actuelle. Le conférencier a salué les interventions de la Confédération paysanne : élimination de stocks Novartis, destruction de champs de colza transgénique, irruptions-surprises dans des soirées organisées par Monsanto... Apparemment, l’agriculteur de base se rend compte que sa liberté de choix est menacée par les V.G.M. Mais les organisations professionnelles (à l’exception de la Confédération Paysanne et d’une petite partie de la Coordination Rurale) étonnent par leur passivité et leur désintérêt pour la question, ce qui est à déplorer.

Un médecin a évoqué les dangers possibles du " transfert génétique ". La technologie génétique contemporaine permet de violer la barrière des espèces, de transférer des gènes de la bactérie à la plante, de la plante à l’animal, de l’animal à l’homme... Cela pourrait engendrer la création de maladies totalement inédites et inconnues, impossibles à soigner, avec, éventuellement, la destruction de l’espèce humaine à la clef. Le conférencier a rappelé son principe : la science, c’est l’ignorance. Effectivement, personne n’est en mesure, à l’heure actuelle, de prévoir les éventuels dangers à long terme des manipulations génétiques. Mais, de toute manière, l’humanité n’a pas besoin des O.G.M. Cela règle donc le problème : il n’y a qu’à s’en passer. Le principe de précaution doit prévaloir, surtout quand il s’agit de produits totalement inutiles.

Précisément, la question finale a porté sur le problème de la faim dans le monde. Ce problème n’est pas technique, mais économique et politique. Il s’agit purement et simplement d’une question de répartition des richesses, et non pas de variétés végétales. D’ailleurs, en moyenne, chaque habitant de la planète dispose de 2700 Kcal par jour. En outre, la faim n’est pas qu’une question alimentaire. Le conférencier a cité l’exemple du physicien Charpak, qui, avec ses compagnons communistes, a survécu à son séjour en camp de concentration, là où les autres détenus mourraient en masse : grâce à une organisation d’une solidarité parfaite, et non grâce à la nourriture du camp.

 

 

 

Modalités d’action

 

 

Le conférencier a rappelé que la population devait avoir un droit de regard sur toute recherche, et qu’il était de toute manière impératif d’alerter les pouvoirs public.

L’appel au boycott est illégal. Mais il reste possible de publier des listes d’aliments dans lesquels interviennent les O.G.M. Il faut savoir que l’opinion publique est globalement hostile aux O.G.M. Mais les grandes entreprises s’efforcent de les imposer par la ruse. Les produits contenant du transgénique (avec certains épaississants, notamment) ne sont pas encore étiquetés. A noter : le boycott du veau aux hormones, à l’instigation de Greenpeace, avait autrefois remporté certains succès, précédent à ne pas oublier.

Le label " bio " interdit les O.G.M. Mais il faut rester vigilant. D’une part, les firmes interviennent pour que les pouvoirs publics relâchent les contraintes. En outre, la pollution génétique est toujours possible : du pollen de maïs transgénique, par exemple, peut éventuellement modifier le maïs traditionnel de l’agriculteur bio dont les champs sont à proximité.

Deux pétitions circulent, l’une contre l’A.M.I., l’autre contre les aliments transgéniques. Un peu comme le collectif ATTAC a permis l’abandon de l’A.M.I., il peut encore se créer une sorte d’ATTAC contre le transgénique.

Le refus, même symbolique, des O.G.M. (par exemple, dans certaines cantines scolaires) reste un moyen de faire pression sur les pouvoirs publics.

  Cercle Réflexion du Lycée George Sand

 

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